Comment lutter contre les troubles anormaux des voisins
Mais peut-on empêcher qu’un voisin gâche le paysage en construisant sur son terrain ?
Peut-on empêcher un voisin de laisser délibérément ou non pousser sa végétation et ne pas l’entretenir, occasionnant ainsi une perte de vue ?
Disposons-nous d’un droit réel à la vue permanent ?
Que peut-on faire en cas de perte d’ensoleillement ou de perte totale de la vue ?
Le permis de construire obtenu par votre voisin le met-il à l’abri de toutes poursuites judiciaires ?
En Droit :
Le trouble n’importe que s’il entrave de manière anormale les relations de voisinage.
Il n’y a pas de droit acquis à la vue, et un voisin peut donc obtenir un permis de construire sur la parcelle voisine même si cela a pour effet d’occulter une partie de cette vue.
Il n’existe donc pas de « privilège de vue » sauf à démontrer par exemple que le règlement ou le cahier des charges du lotissement interdit des constructions qui dépasseraient une certaine hauteur pour préserver la dite vue.
Dès lors, une seule option pour les personnes lésées :
La théorie des troubles anormaux du voisinages
L’article 1240 du Code Civil prévoit : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
L’article 1241 du Code Civil prévoit : « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ».
Il convient de faire application du « principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage ».
Il est acquis que le « caractère anormal d’un trouble de voisinage doit s’apprécier in concreto en tenant compte des circonstances de lieu » ou encore de « la destination normale et habituelle du fonds troublé. »
Le trouble anormal de voisinage fait référence à un excès, et non à un abus d’un droit.
Pour que la théorie des troubles anormaux de voisinage s’applique, il suffit qu’un voisin subisse un « trouble anormal ».
Il n’est pas nécessaire que l’activité à l’origine du trouble soit inutile, ou fautive.
Il n’est pas non plus nécessaire que la personne à l’origine de l’activité ait l’intention de nuire à son voisin.
Il s’agit d’une responsabilité objective. La preuve de l’absence de faute du voisin est indifférente.
La théorie des troubles anormaux de voisinage est donc une théorie objective : elle nécessite simplement un « trouble anormal » pour s’appliquer.
Enfin, seule l’anormalité du trouble importe ce qui rend inopérant le respect de la règlementation applicable.
En effet, tout rapport de voisinage peut entraîner des désagréments d’une intensité plus ou moins élevée. Le trouble de voisinage est constitué dès lors qu’il est « anormal », c’est-à-dire lorsque son impact excède un certain seuil de tolérance pour toute personne « normale ».
Ainsi, pour que le trouble du voisinage soit constitué, il faut nécessairement un dommage qui excède la mesure habituelle inhérente au voisinage (Civ. 3e, 24 oct. 1990, n° 88-19.383).
En effet, il est de jurisprudence constante que « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ou encore excédant les inconvénients normaux du voisinage » (Civ. 3e, 27 juin 1973, n° 72-12.844).
Le trouble de voisinage est donc une notion distincte de celle d’inconvénient ordinaire du voisinage.
Il faut en outre que le trouble causé au voisin présente un caractère continu et permanent, et ce quand bien même le fait serait inhérent à une activité licite et utile pour son auteur.
La jurisprudence considère que, pour obtenir réparation, la victime du trouble doit établir l’existence d’un lien de causalité entre l’activité ou le fait imputable au voisin et le dommage anormal.
La seule constatation d’un trouble anormal causé à un voisin suffit pour engager la responsabilité de celui qui a généré les nuisances. Cette responsabilité repose sur la seule preuve du dommage anormal subi.
Le trouble anormal de voisinage s’apprécie objectivement en référence non aux avantages dont un particulier lésé bénéficiait antérieurement mais à la situation nouvelle qui lui est faite.
La Cour de cassation exerce un contrôle sur la qualification du trouble anormal.
Il est acquis que la vue dont jouit un propriétaire depuis sa maison n’est pas un droit susceptible en lui-même de protection tant qu’il n’y a pas de troubles dépassant l’inconvénient normal de voisinage.
La jurisprudence a coutume de rappeler que les avantages dont bénéficie un propriétaire, tels qu’une vue dégagée ou un ensoleillement important, ne sont pas des droits acquis, sauf à rendre impossible toute évolution du tissu construit.
En revanche, autant des constructions sont plausibles, autant l’absence d’entretien d’arbres et de végétations, ne constitue pas une évolution normale.
Ainsi, la Cour d’Appel d’Aix en Provence en date du 12 juin 2006, a considéré « alors qu’il est établi que des cyprès qui n’ont pas été élagués causent une perte d’ensoleillement dans le jardin potager des voisins et que leur hauteur excessive obstrue la vue sur mer dont bénéficiait préalablement le propriétaire du fonds voisin. Ce trouble, par son ampleur, excède les inconvénients normaux du voisinage. Le propriétaire des arbres doit donc être condamné à les élaguer à une hauteur raisonnable et annuellement pour éviter leur repousse. (jurisdata 2006-311957)
La Cour d’appel de VERSAILLES dans un arrêt en date du 17 décembre 1999 (pourvoi 1998-150) a considéré « qu’ il est ainsi établi que l’arbre litigieux, qui a atteint une hauteur non contestée d’environ 6 mètres en quelques années, cause aux appelants un trouble de jouissance important, consistant dans la privation du bénéfice de la clarté, de la vue et de l’ensoleillement, principalement dans leur salle de séjour ; que les époux X… sont donc fondés à demander qu’il soit mis fin aux troubles causés par le figuier excédant les inconvénients normaux du voisinage ».
De même, la croissance en parasol d’un cèdre cause au copropriétaire un préjudice en en limitant l’ensoleillement de sa terrasse et de son appartement (CA PARIS, 4e pôle, 2ème chambre civile, 29 septembre 2010, MICHELSON c/Syndicat : jurisdata n°2010-019926).
La vue peut être gênée par des constructions mais aussi par des plantations : une cour d’appel a condamné le propriétaire d’une haie de plus de deux mètres gênant la vue des voisins, à la tailler en l’absence d’usages locaux ou de règlement particulier différent dans la commune (Cour d’appel METZ, 23 janvier 1986 : jurisdata n°1986-042377).
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence dans un arrêt en date du 4 juillet 2017 n°16/00013 a eu l’occasion de qualifier de trouble anormal du voisinage un arbre non entretenu :
« Ces éléments sont de nature à établir que l’obstruction quasi totale de la vue sur la rade de Villefranche-sur-Mer, liée à la présence, sur la propriété de Mr et Mme Y , d’un pin parasol, doit être considéré, eu égard aux dispositions du cahier des charges et au caractère remarquable du site, comme constitutif d’un trouble excédant les limites des inconvénients normaux du voisinage, dont Mme Z est fondée à obtenir réparation ; le premier juge a, par ailleurs, justement retenu, se fondant en particulier sur le rapport de Mr Grocetti, expert phytosanitaire, lequel indique que ce type de résineux ne peut être élagué que d’une façon « douce », en évitant de couper des branches d’un diamètre supérieur à 8 à 10 cm, et qu’il n’est pas recommandé de l’étêter au risque de fragiliser les branches charpentières et de provoquer la rupture de l’arbre sous l’effet des conditions climatiques, que seul l’abattage du pin est de nature à remédier au trouble anormal de voisinage constaté, peu important que l’architecte des bâtiments de France ait émis un avis défavorable à l’abattage du pin au motif que celui-ci participerait à la qualité du site. »
La perte d’ensoleillement, de luminosité et la création d’un vis-à-vis constituent aussi un trouble anormal de voisinage dont les Tribunaux apprécient le préjudice par l’allocation de dommages et intérêts calculés selon la dépréciation de la valeur vénale du bien.
Selon l’importance et la localisation du trouble :
• en zone pavillonnaire, perte d’ensoleillement de la piscine « dès le milieu de l’après-midi », perte de vue et d’intimité : indemnisation de 148 000 €, soit 40% de la valeur vénale, ainsi que 50 000 € au titre du trouble de voisinage (CA Limoges, 08/10/13, n°12/00625)
• également en zone pavillonnaire, perte d’ensoleillement de 60 à 70% : démolition avec amende journalière de 50 € par jour de retard (CA Nancy, 29/06/15, n°14/01346)
• en zone urbaine dense, perte d’ensoleillement de 6 à 46% : indemnisation de 30 000 €, soit 10% de la valeur vénale, ainsi que 3 000 € au titre du trouble de voisinage (CA Rennes, 22/09/15, n°13/08681)
• en zone urbaine, perte d’ensoleillement de 7h à 13h : indemnisation de 22 000 € (CA Reims, 17/06/14)
Dès lors, le critère de l’urbanisation du quartier où se tient l’immeuble, ne rentre pas en considération, dès lors que la jurisprudence retient l’existence de troubles anormaux de voisinages même dans des secteurs urbains.
Le trouble anormal de voisinage s’apprécie donc au cas par cas et nous vous laissons le soin de contacter le cabinet afin d’envisager si vous pouvez bien bénéficier de cette application du droit.